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« Les Pouvoirs secrets du goût » sur Arte, au prisme du temps et des espèces

ARTE – SAMEDI 31 AOÛT À 20 H 55 – DOCUMENTAIRE
Dire de ce documentaire en deux parties de cinquante-deux minutes qu’il est foisonnant est un euphémisme. Complexe sans être compliqué, Les Pouvoirs secrets du goût (2024), d’Annamaria Talas, brasse très large et très profond dans l’histoire des espèces animales et végétales. Et ce depuis la nuit des temps, comme le souligne le générique sur un fond visuel magmatique et une musique qui rappelle 2001, l’Odyssée de l’espace (1968), de Stanley Kubrick.
Cette odyssée, qui prend comme élément narratif récurrent l’image de la carotte et du bâton, explique comment les saveurs sucrée et amère se sont installées dans le règne végétal, pour encourager une relation apéritive ou répulsive chez les animaux, oiseaux et autres espèces − dont l’être humain, dont il est aussi beaucoup question dans le film de la réalisatrice hongroise installée en Australie.
Ainsi, entre autres exemples, des koalas d’Australie : les feuilles d’eucalyptus sont essentielles à leur survie, alors qu’elles sont l’un des végétaux les plus toxiques. Mais ces marsupiaux ont développé une résistance à ces substances toxiques qui leur permet « de les décomposer pour les rendre inoffensives, explique le biologiste de la faune sauvage japonais Takashi Hayakawa. Néanmoins, ils utilisent leurs récepteurs du goût amer pour choisir les feuilles contenant une moindre concentration de poison ».
En sus des nombreuses découvertes récentes présentées de manière vivante et imagée par divers scientifiques internationaux, on retient des cas pittoresques qui en apprennent cependant beaucoup : ainsi, deux chercheurs, partis explorer l’Amazonie péruvienne, ont-ils découvert que les fourmis n’étaient pas seulement à la recherche de saveur sucrée. « On était envahis par elles, se souvient le biologiste Robert Dudley. Elles ne nous attaquaient pas, elles étaient uniquement intéressées par le sel de notre sueur. » Un sel rare dans leur environnement naturel.
Autre cas, presque comique, révélé par le travail de recherche de l’écologue américain Rob Dunn et de ce qu’il a appelé l’« hypothèse du singe ivre ». Celle-ci a montré que certains d’entre eux étaient à la recherche de fruits particulièrement mûrs ou de la sève fermentée des raphias, qui contiennent beaucoup d’éthanol, et finissaient par avoir les comportements bien connus chez les humains alcoolisés : embêter leurs congénères puis dormir comme une masse… Les séquences reliées aux comportements alimentaires humains sont tout aussi passionnantes, notamment celle consacrée à l’umami, la cinquième saveur de base (avec le sucré, l’acide, l’amer et le salé). Le terme japonais, officiel et international depuis 1985, signifie « goût savoureux », et c’est par lui que la version française du documentaire traduit le terme anglo-saxon savoury.
Scientifiquement, l’umami est aujourd’hui répertorié comme du glutamate monosodique. Mais sa perception gustative reste mystérieuse. Pour Rob Dunn, « plutôt qu’une saveur propre, c’est un signal qui renforce et modifie d’autres arômes ». Le commentaire fournit cependant une subtile et éloquente correspondance musicale : « Comme la contrebasse dans un orchestre, l’umami souligne les autres arômes et amplifie l’expérience gustative. »
Il n’est pas communément su que le champagne − surtout les grands et anciens crus − contient de l’umami et que la meilleure façon de le rehausser, ainsi que l’explique le spécialiste en gastronomie moléculaire danois Ole Mouritsen, est de le consommer avec des huîtres. Ce que faisait l’écrivaine danoise Karen Blixen (1885-1962) à la fin de sa vie, après l’ablation d’une partie de l’estomac, sans en avoir le moins du monde conscience.
Passionnant de bout en bout, ce documentaire de haut vol semble, en de rares occasions, avoir peur d’être trop abstrait et illustre en images des faits qui n’ont nul besoin de l’être : dans l’épisode 1, alors que la saveur salée est évoquée, on voit un acteur faire la grimace en avalant une bouchée puis une gorgée d’eau dans la foulée…
Dans l’épisode 2, au moment où sont comparées les réactions à l’absorption d’ibuprofène et d’huile d’olive − qui contiennent chacun un agent chimique qui provoque des picotements dans la gorge −, c’est au tour d’un autre comédien de… tousser face caméra. Mais, dans un contexte assez complexe, ce genre de lapalissade visuelle est finalement assez hilarant.
Les Pouvoirs secrets du goût. Du besoin au désir (ép. 1), Plaisir et danger (ép. 2), documentaire d’Annamaria Talas (Aus. et All., 2024, 2 × 52 min). Sur Arte.tv jusqu’au 28 novembre.
Renaud Machart
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